L'ABC de RLC

L'Encyclopédie de Rennes-le-Château


Interview de
Christian Doumergue

>[LA TOMBE PERDUE]

Entretien inédit avec Thierry E Garnier
pour le site de L’ABC de RLC

 

TEG : Christian tu as publié aux éditions Pardès un nouvel ouvrage : La Tombe Perdue : le corps du Christ repose-t-il dans le Sud de la France ? Cet ouvrage poursuit la quête entamée dans les précédents, et notamment dans L’Affaire de Rennes-le-Château publié aux éditions Arqa, dans la continuité duquel il s’inscrit sur différents points. Peux-tu nous présenter les grandes lignes du livre ?


Le croisement de l’Hérault et de la Thongue.
Rédigé en 720 dans le Sud de la France, l’écrit intitulé La Vengeance du Sauveur
signale ce site comme étant celui où l’empereur Tibère fit bâtir un ensemble souterrain « au nom » du Christ.

Christian Doumergue : Effectivement, La Tombe Perdue est en quelque sorte la suite de L’Affaire de Rennes. Ou, plus exactement, un développement de certains passages de ce dernier. En réalité les deux livres se complètent… La Tombe Perdue développe des éléments à peine esquissés dans L’Affaire de Rennes… Inversement, j’ai repris en condensé dans La Tombe Perdue, des éléments amplement développés dans L’Affaire… !

Quant aux grandes lignes du livre, disons que tout part d’une question. Les évangiles évoquent la disparition du corps de Jésus de la tombe où il avait été déposé après sa mort, or, l’explication apportée par l’Eglise pour éclairer cette disparition (la résurrection physique de Jésus), ne peut satisfaire l’historien. Dès lors, ce dernier est en droit de se demander : qu’est devenu le corps du Christ ?

Afin de résoudre cette interrogation, j’ai mis en parallèle les évangiles, notamment l’Évangile de Jean, et différentes traditions juives hostiles à Jésus qui évoquent la disparition de son corps en affirmant qu’il a été dérobé à sa sépulture et déplacé ailleurs.

Ces traditions sont originellement orales et ont été recueillies à différentes époques, en général par des gens d’Eglise désireux de les combattre. Plusieurs d’entre elles signalent que c’est un jardinier qui a « volé » le corps pour l’enterrer ailleurs. Certaines recensions disent que le jardinier a détourné un cours d’eau sur la nouvelle sépulture afin d’être sûr que nul ne la trouve.

Or, que nous dit l’Évangile de Jean ? Que Marie-Madeleine, éplorée devant la sépulture vide de son Maître, rencontre à proximité de celle-ci un homme, qu’elle prend pour le « jardinier ». L’évangile ajoute encore que, supposant que cet homme avait déplacé le corps de son Maître, Marie-Madeleine lui demande de la conduire jusqu’au cadavre afin qu’elle puisse le reprendre ! (Jean, XX, 15 : « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et je le prendrai. ») 

Bien sûr, la suite du texte signale que cet homme que Marie-Madeleine prend pour le jardinier n’est autre que Jésus… Mais on s’explique mal ce passage. La question de savoir pourquoi Marie-Madeleine ne reconnaît pas Jésus a de longue date interrogé les théologiens. Si différentes explications ont pu être avancées par ceux-ci, la plus satisfaisante est d’associer cette « bizarrerie » aux multiples recompositions de ce passage de l’Évangile de Jean. Ce passage du texte porte en effet trace, dans sa composition même, de multiples remaniements qui ont progressivement altérés le récit primitif. Il apparaît ainsi probable que l’identification de l’homme rencontré par Marie-Madeleine au Christ soit un ajout au texte premier.

L’Évangile de Jean garde ainsi le souvenir de la rencontre entre Marie-Madeleine et ce « jardinier » qui d’après les traditions Juives a déplacé le corps du Messie. Il garde aussi le souvenir du fait que Marie-Madeleine ait demandé à cet homme de la conduire jusqu’au corps afin qu’elle puisse le reprendre.

La comparaison de ces différentes sources antiques (les traditions juives relatives au jardinier, bien que mises par écrit plus tard dans leur totalité, sont attestées dès les premiers siècles chrétiens à travers, notamment, le traité sur les spectacles de Tertullien…), pose donc Marie-Madeleine comme un élément central dans notre enquête. Historiquement, elle est en effet la première à avoir mené une enquête sur la disparition du corps de Jésus !
Voilà, dans les grandes lignes, l’assise de l’investigation menée…


Non loin du site indiqué par La Vengeance du Sauveur,
l’église de St Thibéry (Hérault) conserve les reliques d’un mystérieux saint Tibère.

TEG : Dans ton livre, les chapitres qui suivent ces premiers développements accordent en effet une grande place à Marie-Madeleine. On connaît tes précédents travaux sur la sainte et notamment en ce qui concerne sa venue en Gaule. Tu donnes à celle-ci une dimension historique que tu poses comme indéniable. Nous n’allons pas revenir là-dessus puisque tu t’en es déjà largement expliqué par ailleurs… Ce qui est nouveau, par contre, ce sont les liens très forts que tu établis dans La Tombe Perdue entre Marie-Madeleine et le pouvoir romain… L’empereur Tibère, notamment, occupe une place centrale dans ta démonstration. Peux-tu revenir là-dessus ?

Christian Doumergue : Mon intérêt pour Tibère part d’un texte apocryphe intitulé La Vengeance du Sauveur. Ce texte a été rédigé dans le Sud de la France aux alentours de 720. Il s’agit du récit de la conversion de Tibère au christianisme. On en possède plusieurs copies dont une, particulièrement intéressante, est conservée à la Bibliothèque Nationale de France. Elle se distingue d’autres versions de ce texte (qui a été diffusé jusqu’en Angleterre…) par sa fin. Celle-ci signale que l’empereur, s’étant converti au christianisme, quitta Rome pour la Septimanie (l’actuel Languedoc Roussillon). Là, Tibère serait arrivé à Agde, puis aurait remonté l’Hérault jusqu’à son croisement avec un autre cours d’eau, appelé Tincta. Après quoi il aurait édifié, vraisemblablement là, un ensemble souterrain « au nom du Christ ». Cette mention est troublante et l’est d’autant plus que plusieurs traditions signalent que Marie-Madeleine se rendit à Rome pour y rencontrer Tibère. Cette idée est attestée dès les IVe siècle dans les textes apocryphes. Ceux-là signalent que Marie-Madeleine voulait demander à l’empereur réparation de la mort du Christ. La Vengeance du Sauveur ne parle pas de Marie-Madeleine mais d’une autre femme, Véronique, venue, elle aussi, rencontrer Tibère en apportant d’Orient une « image du Christ ». Il s’agit de la fameuse Véronique des traditions apocryphes. Plusieurs choses sont à noter à son sujet. A commencer par le fait que la plupart des exégèses s’accordent à concevoir Véronique comme un personnage fictif. Du moins le prénom qu’elle porte comme un prénom fictif. Il viendrait d’un « surnom » composé à partir de latin et de grec, vera icona : la « vraie image ». On peut donc supposer, déjà, à ce stade, que cette figure de Véronique, recouvre, dans La Vengeance du Sauveur, une autre figure dont elle serait venu gommer la véritable identité. Or, le texte prête à cette « Véronique » des paroles qui sont, mot pour mot, celles attribuées à Marie-Madeleine dans l’Évangile de Jean ! Cela et d’autres éléments la concernant laissent envisager que le texte source à l’origine de La Vengeance du Sauveur, évoquait bien la rencontre entre Tibère et Marie-Madeleine… Se dessine ainsi, peu à peu, derrière les déformations successives que connut cette tradition, une trame tout à fait fascinante. Mais continuons… car la suite est plus passionnante encore. Les mots que « Véronique » / Marie-Madeleine a dans la Vengeance du Sauveur à propos de la « vraie image » du Christ sont ceux que, dans l’Evangile de Jean, elle a pour le corps de Jésus. Il y a dès lors tout lieu de se demander si cette « vraie image » n’est pas une façon symbolique de désigner la plus authentique image du Christ qui soit… à savoir son corps. Ce qui expliquerait le dénouement du texte, et l’édification, autrement incompréhensible, de cet ensemble souterrain au nom du Christ, par l’empereur…

 



Borne milliaire retrouvée à St Thibéry.
Elle signale la construction d’une route par l’empereur Tibère
et indique donc l’implication de ce dernier dans des travaux d’ampleur dans ce secteur.

TEG : L’implication d’un aussi haut personnage que l’empereur peut paraître difficile à admettre… Pourtant, tu mets en avant des éléments qui rendent tout à fait possible cette hypothèse. Pour faire court, tu résumes cette intervention à une « affaire de famille » ?…

Christian Doumergue : Parfaitement. Il est vrai que l’intervention de Tibère, le plus haut personnage de l’empire, peut paraître impossible, tout au moins peu crédible… Et parce qu’apparaissant comme tel, permettre à d’aucun esprit sceptique de rejeter l’ensemble des éléments contenus dans la Vengeance du Sauveur au rang de fable !

Pourtant, il n’en est rien. A parcourir l’histoire de Tibère, on se rend compte qu’il a pu prendre d’importantes mesures publiques à cause d’affaire privées impliquant certains de ses proches. Pour ne prendre qu’un exemple, les persécutions contre les Juifs qu’il ordonna trouvent leur origine dans l’escroquerie dont fut victime une femme romaine de haut rang nommée Fulvia, qui évoluait dans son entourage…

Les relations que Marie-Madeleine avaient pu tisser en Orient avec la femme de Ponce Pilate sont ici déterminantes. Les évangiles signalent son intervention auprès de Ponce Pilate pour sauver Jésus. C’est un détail important, qui a fait dire à nombre d’historiens qu’elle était secrètement convertie au christianisme. Ce qu’affirment d’ailleurs nombre de traditions apocryphes. Celles-ci sont très instructives sur un autre point : alors que les évangiles canoniques taisent le nom de cette femme, ils l’appellent tantôt Procla, tantôt Claudia Procula. L’information est capitale. Si l’on se base sur l’onomastique romaine, et le système du tria nomina (les trois noms par lesquels les romains se désignaient) elle associe en effet la femme de Pilate à la gens (famille au sens très large) Claudia, à laquelle appartient également l’empereur Tibère !

La femme de Pilate appartenait donc à la « famille » de l’empereur, et pouvait constituer un intermédiaire entre celui-ci et Marie-Madeleine.

C’est là, assurément, qu’est la clé de cette rencontre autrement improbable.

On sait en effet que Marie-Madeleine évoluait dans les sphères élevées de la société. Les évangiles laissent voir en elle une femme riche et côtoyant la femme de l’intendant d’Hérode. Les hagiographies du moyen-âge font d’elle une princesse de sang royal donnant ici sur sa vie des détails inconnus des évangiles mais qui puisent probablement leur origine dans une tradition historique. Dès lors, il est difficile de ne pas faire d’elle une familière de Claudia Procula.

Et cela d’autant plus que les parcours « traditionnels » des deux femmes après la mort de Jésus se suivent…
Incapable de sauver Jésus, il est assez certain que Claudia Procula voulut sauver ses plus proches disciples lorsque ceux-ci se trouvèrent à leur tour menacés par l’intolérance religieuse… Elle assista donc Marie-Madeleine. Du moins la pris sous sa protection… Ce qui explique la rencontre avec l’empereur et l’action de ce dernier.

Reliquaire contenant les reliques de saint Tibère (sacristie de l’église de St Thibéry).
Le culte du saint, dont l’origine est méconnue, pourrait conserver le souvenir déformé
d’une action de Tibère favorable aux chrétiens dans ce périmètre.

TEG : Après avoir analysé la possibilité historique du récit contenu dans La Vengeance du Sauveur, tu abordes dans ton livre une question qui semble cruciale : l’ensemble souterrain évoqué par ce texte existe-t-il ? Tes recherches deviennent ici passionnantes, puisque tu détermines bien un site, « sur le terrain » !

Christian Doumergue : La Vengeance du Sauveur évoque en effet un lieu précis : le croisement de l’Hérault et d’un autre cours d’eau appelé Tincta. Ce cours d’eau s’appelle actuellement la Thongue. Il rejoint l’Hérault non loin d’Agde, à proximité d’une petite agglomération nommée Saint Thibéry. La ressemblance phonétique entre ce nom et celui de l’empereur évoqué par La Vengeance du Sauveur est très troublante. Sur certaines cartes anciennes, le nom de l’agglomération reprend d’ailleurs l’orthographe latine du nom de l’empereur ! Plus troublant encore, l’église du village conserve le peu qui reste des reliques d’un mystérieux… saint Tibère ! Dans les traditions locales, celui-ci est présenté comme un saint d’origine romaine qui aurait vécu au IIIe siècle. Il est néanmoins difficile de ne pas imaginer qu’il soit une réminiscence du souvenir d’une action de Tibère en faveur du christianisme dans cette zone géographique précise au cours du premier siècle de notre ère… Hypothèse d’autant plus séduisante que, alors que mon livre était sous presse, à un moment où il était donc trop tard pour y réaliser quelque ajout que ce soit, j’ai été mis en présence d’une borne milliaire d’époque romaine, retrouvée sur la commune de Saint Thibéry, et évoquant la construction, en cet endroit, d’une route sur ordre de l’empereur Tibère ! Cette inscription atteste donc que l’empereur a été directement impliqué dans des constructions d’ampleur dans ce secteur ! Quant à l’ensemble souterrain, là encore, depuis la parution du livre, de nouveaux éléments m’ont permis d’établir avec certitude qu’il a existé, et existe encore ! La grotte est mentionnée sur un plan du XVIIe siècle conservé aux Archives Nationales. C’est le seul document retrouvé la signalant. Mais d’autres documents, à savoir une série de lettres conservées aux Archives Départementales de l’Hérault, permettent d’établir qu’elle a été enterrée sous environ deux/trois mètres de remblais à l’aube du XVIIIe siècle…et ce pour une raison que l’on ignore.

TEG : Malgré tous ces éléments nouveaux, tu ne sembles pas te détourner du périmètre de Rennes-le-Château, ou plus exactement de Rennes-les-Bains… C’est ce site qu’évoque d’ailleurs aussi Daniel Dugès, à sa manière, dans « Entre la Rose et L’Equerre » publié l’année dernière - Pour toi, c’est quoiqu’il en soit dans ce secteur que se trouve ce que l’on pourrait appeler le « dénouement » de l’histoire qui nous intéresse ici… Tu avais déjà, dans ton Affaire de Rennes-le-Château, évoqué les liens unissant Claudia Procula à Narbonne. Cette fois-ci, tu publies un document signalant son arrivée dans un « pays des Rhedons » que tu identifies à Rennes-les-Bains…

Christian Doumergue : Effectivement. Je crois que Saint Thibéry est un jalon important. Il y a incontestablement une découverte de nature archéologique importante à faire dans ce secteur. Grâce au plan retrouvé aux Archives Nationales je suis aujourd’hui en mesure de dire exactement où se situe l’ensemble souterrain évoqué par La Vengeance du Sauveur. Ce dernier texte restait vague à ce sujet, se contentant d’évoquer le croisement de l’Hérault et de la Thongue sans dire si la crypte aménagée par Tibère se trouvait là, ou à proximité. Grâce au plan des Archives Nationales, je sais à présent que c’est à proximité qu’il faut chercher, dans le village même. Le lieu est resté accessible pour des fouilles d’envergure… Lorsque celles-ci auront été menées, la cavité mise au jour nous livrera peut-être certains de ses secrets. S’il y avait encore, à l’intérieur, des éléments remontant au premier siècle et rattachés au christianisme, alors il y aurait de quoi réécrire toute l’histoire de celui-ci. Ce serait déjà énorme ! Quant à la dépouille du Christ, ce qui est sûr, c’est que la grotte n’ayant été obstruée qu’à l’aube du XVIIIe siècle, et étant donc très certainement parfaitement connue jusque là, elle n’y est plus depuis longtemps (si elle s’est jamais trouvée à St Tibéry)… Les religieux établis à St Thibery n’ont pas été tendres avec les Cathares lors de la sinistre Croisade contre les Albigeois. Ils ont prêté main forte aux Croisés déferlant du nord… On les imagine donc assez mal garder un tel secret.

On peut donc penser, au vu de ces éléments, que le site a été très vite abandonné. On peut aussi imaginer que la tombe ne se soit jamais trouvée à St Thibery, où n’aurait été érigé qu’un cénotaphe… En l’absence de fouilles, toutes les hypothèses sont admises…

Tout ce qui est à peu prés certain, c’est qu’il faut chercher la tombe du Christ ailleurs… Où ? Il faut pour résoudre cette question suivre les pas de Claudia Procula. A ce sujet, un indice précieux nous est donné dans une version de lettres apocryphes qui lui sont attribuées, où l’épouse du préfet de Judée évoque sa naissance à Narbonne et son retour en Gaule suite à la mort de Jésus. Plusieurs versions de cet apocryphe existent. L’une, retrouvée à Bruges, signale que Claudia Procula se retira dans un « pays de montagnes rocheuses ». La désignation est vague. Mais en 1886, sans donner de source précise, l’Evêché de Carcassonne publie discrètement une autre version du texte qui stipule, pour sa part, que Claudia Procula, s’est retirée dans un mystérieux « pays des Rhedons » ! Le recoupement de cette version et de l’autre, qui évoque des paysages que l’ont retrouve à Rennes-les-Bains, tend à identifier ce « pays des Rhedons » à l’antique cité thermale ! Cette dernière était fréquentée à l’époque romaine et accueillait en villégiature précisément les riches romains de Narbonne ! Le lieu est donc, d’une certaine manière, un candidat très probable dès lors qu’il s’agit de déterminer où a été aménagée le tombeau définitif du Christ. D’autres éléments plus tardifs, à commencer par l’étonnant message dont Pierre Plantard a été le médium au XXe siècle, viennent confirmer cette idée. Mais cela est une autre histoire. Enfin, façon de parler…

Voir également le site de Christian Doumergue //
http://www.christiandoumergue.com/tombeperdue.htm

 

 


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